Jamais le village n’avait connu telle effervescence. C’était en tous les cas ce qu’en disaient ses habitants, qui étaient pourtant presque tous nés ici. Jamais non plus ils ne pensaient voir un jour l’épicerie rouvrir ses portes. Celle qui avait fermé au tournant des années 2000 faute de repreneur, venait tout juste d’être acquise par Ludivine et Paul, un jeune couple fuyant la ville sans toutefois renoncer à sa modernité, avec la ferme ambition de faire de ce lieu le centre du renouveau local. Et c’est aujourd’hui son inauguration.
Depuis quatre ans maintenant, la région tout entière est en pleine transformation. Elle qui était, hier encore, menacée de désertification faute d’habitants est aujourd’hui un exemple de renaissance des territoires ruraux. S’il est soudain, ce dynamisme ne tient toutefois en rien du hasard. Il est le fruit de la persévérance des collectivités locales et des efforts des entreprises, parvenus à convaincre toute une population lassée par la ville et ses commodités de s’installer dans la région. Développement des infrastructures, soutien au travail à distance, réouverture des services de proximité, … ont peu à peu changé la physionomie des campagnes. Et l’évolution des moyens de mobilité était structurante dans cette transformation profonde.
Il faut dire que le dynamisme du territoire s’est pendant longtemps heurté à la question du transport, dans un paysage rural où les habitations sont souvent éloignées les unes des autres et où la densité de la population rend le transport collectif peu adapté. La voiture individuelle reste généralement le principal moyen de déplacement et représente une part conséquente du budget de la population rurale, pour qui l’accès à un véhicule est conditionné par un coût d’achat, d’entretien et de carburant élevé.
“Le constat était clair : l’équilibre du territoire ne peut désormais être imaginé que dans le cadre d’une réflexion de fond sur la manière de se déplacer.”
Et les acteurs économiques et politiques de la région avaient su s’en saisir à bon escient. D’une certaine manière, celles et ceux qui sont présents aujourd’hui à l’inauguration de l’épicerie en sont les témoins autant que les acteurs.
La mobilité s’est donc muée, par envie ou nécessité, en un geste profondément solidaire qui ne relève plus du déplacement individuel, mais du mouvement collectif, visant à désenclaver les habitats isolés, à connecter les personnes et à redynamiser les bourgs menacés d’abandon. Des solutions de mobilité partagées et décarbonées donnent lieu à un mouvement inédit en matière d’innovations technologiques, mais aussi sociales. Certaines portées par la collectivité territoriale. D’autres issues d’initiatives individuelles entraînées par le sens civique et les besoins d’une génération de « néo-ruraux » toujours connectés aux activités urbaines. Un grand nombre de plateformes de partage ont ainsi spontanément vu le jour, souvent promues par les entreprises locales, développant les systèmes de covoiturage, la mutualisation des véhicules. Sont venus se greffer des services de véhicule à la demande et de location courte durée, qui n’avaient jusqu’à présent pas réussi à se développer en zone rurale pour des questions de logistique pures. La mobilité, propulsée par la volonté des entreprises locales et les outils numériques, redevient un levier puissant de solidarité. D’autant plus que le déploiement du réseau numérique par satellite contribue à éradiquer les dernières zones blanches du territoire et à rendre l’accès à Internet définitivement universel.
La réouverture de l’épicerie du bourg participe de ce dynamisme. Pour Ludivine et Paul, il s’agit aujourd’hui de faire de ce commerce de proximité une solution au principal frein du véhicule électrique en zone rurale : la question de l’autonomie et du réseau de recharge électrique disponible. L’amélioration constante des capacités des batteries avait déjà résolu une partie du problème. Restait le réseau. Au travers de leur épicerie, les nouveaux propriétaires ont pour volonté de participer activement à un mouvement mis en œuvre quelques années auparavant dans les campagnes, visant à densifier le maillage de points de recharge disponibles sur le territoire. Leur épicerie est donc pensée comme un hub de mobilité, doté de deux bornes de recharge rapide et, à l’occasion, d’un espace de restitution des véhicules à la demande. On y viendrait donc non seulement pour faire le plein de victuailles, mais aussi au passage celui de sa batterie. Un moyen d’attirer les touristes et de les garder quelques instants, le temps de prendre un café, lire la presse locale et échanger avec les locaux sur les choses à voir dans la région. Un moyen pour entretenir un peu du lien social et développer l’attractivité du territoire. Un cercle vertueux qui fait partie de tout un écosystème.
Quelques mois auparavant s’était installé, dans un ancien entrepôt agricole du bourg, un garage solidaire tenu par Andia, ancien électricien converti dans la maintenance des véhicules électriques. Initié sur le principe des ateliers associatifs de réparation de vélos, son garage permet à celles et ceux dotés de peu de ressources de trouver le matériel adéquat pour entretenir leur véhicule à moindre coût et d’être formé, le cas échéant, par un mécanicien professionnel. Aujourd’hui, Andia emploie cinq salariés à temps plein et son garage héberge désormais un pôle de mobilité où on peut trouver des véhicules utilitaires et agricoles à louer pour de très courtes durées et un système de mutualisation de véhicules partagés. Et même des vélos. De quoi venir compléter l’offre de l’épicerie voisine et enrichir un peu plus cet écosystème.
Cette concentration des services en mobilité est un mouvement de fond indissociable du renouveau des territoires ruraux. L’innovation en matière de mobilité s’est ainsi ouverte à de nouvelles occasions de sociabiliser. Il est d’ailleurs désormais courant de voir, à l’entrée des villages, l’émergence de ces pôles de mobilité, hébergeant à la fois des bornes de recharge et d’autres services, comme des parcs de véhicules partagés ou des points de rencontre pour le covoiturage. Des pôles couramment combinés à des espaces de dépôt de colis et de conciergerie. La mobilité électrique change peu à peu l’apparence même des villages traversés. En mieux. Portés par ce nouveau dynamisme, des restaurants, des boulangeries, des coiffeurs recolonisent progressivement les centres-bourgs qu’ils avaient autrefois abandonnés faute de visiteurs. La mobilité électrique est la vectrice principale du renouveau de l’espace rural et de la dynamique des territoires. D’une certaine manière, la voiture redevient l’élément de lien social et de liberté qu’elle a toujours voulu être.