“Un bon nudge doit préserver la liberté de choix de l’individu et éviter d’entrer dans une logique de manipulation”
“Un bon nudge doit préserver la liberté de choix de l’individu et éviter d’entrer dans une logique de manipulation”
Traduit littéralement, le terme nudge signifie coup de pouce ou coup de coude.
Dans son essence, un nudge est un outil qui permet de changer la perception d’une situation. Sur la base de ce changement, l’individu est libre de changer ou non de comportement. Il s’agit de modifier l’architecture de choix proposée à un individu dans une situation donnée. En offrant de nouvelles options de choix, une entreprise, un décideur public ou même un individu peut encourager la prise de décision dans une direction considérée comme souhaitable. Un bon nudge doit préserver la liberté de choix de l’individu et éviter d’entrer dans une logique de manipulation. Un exemple concret célèbre est celui du cendrier urbain présenté sous forme de vote. Initialement développé en Angleterre, il proposait aux fumeurs de voter pour Messi ou Ronaldo en jetant leur mégot. Le dispositif capte l’attention des individus en changeant leur perception de la situation pour les inciter à adopter un comportement bénéfique à l’environnement.
Les nudges s’appuient sur le constat que notre prise de décision n’est pas toujours basée sur une rationalité parfaite, mais influencée par des biais cognitifs. Ces biais comportementaux sont très nombreux, mais nous pouvons en isoler un certain nombre, testés dans le cadre du projet [Imp]²ulce. Nous avons par exemple testé le biais “d’aversion à la perte”. Un nudge basé sur ce biais consiste à mettre en avant la perte – financière, de temps ou de santé – que l’individu risque s’il ne modifie pas son comportement. De manière générale, les individus ont une aversion plus importante au risque de perte qu’au risque de gain. Une étude montre que la douleur perçue lorsque l’on perd 1000€ est 2 fois supérieure au plaisir de gagner une somme équivalente. Un second biais de perception important est “l’appel moral”, qui rappelle aux individus qu’à travers leur comportement ils contribuent à la lutte contre le dérèglement climatique, à l’aménagement public, etc… C’est un nudge qui peut être critiqué parce qu’il est moralisateur. Ensuite il y a le biais de la “norme sociale”, qui est sans doute le nudge le plus connu du grand public. Il est souvent mobilisé sur les sujets de consommation d’énergie ou pour le tri des déchets. Il s’agit par exemple de comparer la consommation d’un foyer à la consommation moyenne de l’entourage sur une facture d’énergie. Dans le cadre de la mobilité, cela peut passer par un classement de l’impact environnemental des déplacements des employés ou sur les parts d’usage des différentes mobilités… Nous avons également testé le biais du “changement de présentation”, qui consiste à présenter des informations connues de façon plus ludique, à travers le jeu.
Il faut répondre à cette question avec précaution. Tous les nudges ne marchent pas, ils ne sont pas tous prometteurs. Dans l’étude que nous avons réalisée, nous avons montré que seuls l’appel moral, l’aversion à la perte et la combinaison des deux avaient un effet positif sur le changement de comportement en matière de déplacements. Parmi eux, le plus efficace est celui de l’aversion à la perte. Cela montre que les décideurs politiques et les entreprises doivent porter une attention particulière aux nudges qui stimulent une aversion à la perte, notamment s’ils souhaitent promouvoir les modes alternatifs. Nous avons également constaté que l’exposition à des nudges de type « appel moral » doit être suffisamment longue pour maximiser ses effets et toucher un maximum de personnes. C’est en contradiction avec les pratiques que l’on observe dans les collectivités aujourd’hui, où la majorité des initiatives sont des expérimentations relativement courtes, sur deux, trois ou quatre semaines. Nous avons enfin observé que les résultats obtenus grâce aux nudges persistent dans le temps : nous parvenons à modifier les préférences environnementales des individus. Ce n’est pas le cas avec la mise en place d’une taxe par exemple, qui crée une réaction à un effet prix mais n’est pas durable une fois la taxe supprimée. De ce point de vue, les nudges sont très prometteurs. Il faut néanmoins rester prudent car sur les 6 nudges présentés, trois n’ont pas fonctionné dans notre expérimentation, et notamment la comparaison sociale, qui est le plus utilisé pour des comportements de type consommation énergétique, eau ou recyclage des déchets.
Contrairement à un instrument financier classique, on ne peut pas dire qu’un nudge soit efficace dans tous les contextes. C’est une politique qui doit être localisée et testée, sans être nécessairement réplicable d’une région à l’autre. Les individus ont des cultures différentes et ne sont pas tous sensibles aux mêmes biais. Au vu du faible coût des nudges comparé aux subventions ou aux mécaniques de récompenses, nous obtenons des effets très intéressants à moindre coût, mais nous ne pouvons pas toujours passer à l’échelle. En tant qu’économiste je pense que le nudge est un très bon outil complémentaire aux politiques incitatives classiques, mais qu’il ne peut pas les remplacer.
Pour Mobilize, l’utilisation des nudges est une piste prometteuse. Ils permettent en particulier de favoriser les comportements vertueux afin de tendre vers la neutralité carbone. Bien utilisés, ils constituent des alliés puissants dans la lutte contre l’autosolisme ou contre les énergies fossiles. Lorsque l’automobile n’est pas nécessaire, ils peuvent également favoriser la prise de décision en faveur des mobilités légères ou des transports en commun. De manière plus générale, ils permettent de mettre en valeur toute une gamme d’options de mobilité chères à Mobilize : plus durables, accessibles et abordables.