Nous vivons une époque fascinante où la technologie est omniprésente. Cela impacte directement la façon dont nous dessinons, vivons et comprenons la ville avec notamment la convergence entre le physique et le numérique. L’exemple le plus criant est l’évolution d’Internet qui s’est mué en Internet des objets. Cette mue a également rendu les villes « intelligentes », elles sont devenues des « smart cities ». Une appellation à laquelle je n’adhère pas car elle met la technologie au cœur de sa définition et de son concept. Je préfère lui donner une appellation plus humaine, qui privilégie les besoins des citoyens, celle de senseable cities. Dans ces modèles, l’important est d’anticiper et de satisfaire les besoins des habitants en premier lieu. La ville devient une ville sensible, où l’optimisation des espaces urbains ne fonctionne qu’en intégrant les considérations sociales au processus de réflexion et de conception.
En 1966, l’architecte Cédric Price a formulé cette phrase qui me semble très juste : « La technologie est la réponse, mais quelle est la question ? ». Cette question était aussi importante à l’époque qu’elle l’est aujourd’hui. C’est pour cela qu’il est intéressant de l’aborder sous le prisme des senseable cities. En effet, la technologie peut nous permettre de mieux vivre, mais comment l’utiliser de manière plus responsable ? Comment peut-elle répondre aux plus grands défis de notre siècle : du changement climatique à la ségrégation ? La technologie est un outil, mais elle doit coexister avec les grandes conversations sociétales. En politique par exemple, la technologie pourrait nous permettre d’engager le débat sur l’avenir souhaité de nos villes.
Absolument ! L’important est d’avoir leurs retours et de constamment leur demander leur opinion sur la ville qu’ils souhaitent pour demain.
Cela se produit déjà aujourd’hui avec l’Internet des objets. Grâce à des capteurs, par exemple, des immeubles commencent à nous répondre et agir quasiment comme un être vivant. On peut également constater que les designers et les architectes réfléchissent à rendre l’environnement plus intelligent et organique pour mieux communiquer avec lui. Nous sommes proches de ces modèles. Nous avions développé, avec SideWalk Labs, la « Dynamic Street » à Toronto : un projet expérimental pour rendre les rues modulables selon la fréquentation, les horaires et les usages. Nous devons continuer et multiplier ces expérimentations de villes pensées par des start-up, des citoyens… pour les rendre véritablement interactives.
Ces applications ouvrent de nouvelles possibilités, de nouveaux réflexes, un nouveau langage. Je pense que le plus important dans cette démarche est d’avoir un feedback. Un mot qui résonne très fortement dans les senseable cities. Je pense d’ailleurs que le feedback est LE mot de la smart city. Il faut toujours considérer les citoyens comme l’ingrédient principal de ces évolutions, connaître leur opinion s’avère indispensable.
C’est une question d’éducation démocratique. Et toute éducation est basée sur la participation. Les villes doivent maintenir les citoyens engagés et leur permettre de faire partie du débat. Les Latins avaient deux mots pour décrire les villes : « urbs », la ville physique et « civitas », les citoyens. Ils pensaient d’ailleurs qu’il n’était pas possible d’avoir l’un sans l’autre. Nous devons revenir à ce paradigme pour redonner un équilibre aux villes, et ce, via les citoyens.
Je ne pense pas. Le but était de montrer aux gens l’importance de leur propre énergie. Ce projet est majeur d’un point de vue pédagogique, et fait ainsi réfléchir sur l’efficience du corps humain et de l’énergie qu’il produit et utilise. Au quotidien, la « machine humaine » utilise moins d’énergie que l’usage quotidien d’un ordinateur.
Cette énergie est majoritairement à vocation vitale, pour faire fonctionner le corps et vivre. En revanche, l’énergie qui n’est pas utilisée peut-être collectée, transformée et employée à faire fonctionner des éléments extérieurs comme ici avec le bateau. Mais rapporté à l’échelle d’une ville, il faudrait bien plus d’habitants qu’une ville puisse supporter pour la faire fonctionner.
Il est vrai que l’énergie humaine est utilisée tous les jours pour la mobilité douce. Nous le voyons déjà avec la marche et le vélo. Mais cela a tendance à évoluer. Pour le vélo par exemple, l’énergie humaine est de plus en plus combinée à une nouvelle source d’énergie (électrique) afin d’économiser la première. C’est hybride. C’est la convergence entre le naturel et l’artificiel.
J’imagine une imbrication de systèmes. Aujourd’hui, nous avons déjà accès à une multitude d’informations et de choix autour de la mobilité depuis notre smartphone. L’avenir réside donc dans ces choix de transports foisonnants. Et je pense que nous n’en sommes qu’au début. Il faut avoir conscience que c’est une dynamique puissante qui est en marche. Derrière chaque choix de véhicule, il y a un citoyen et une manière de se déplacer. Ce qui à terme créera des combinaisons infinies que centraliseront les applications de mobilité multimodales qui se retrouveront partout.
Nous savons que les technologies de l’information et de la communication utilisent de l’énergie, la question à se poser est surtout : « comment les utilise-t-on ? ». Nous pouvons utiliser ces technologies pour poster des photos sur Instagram et finalement gaspiller cette énergie, ou alors l’employer à réduire les bouchons en ville… L’optimisation permise par la technologie contribue à réduire les émissions carbones, même si elle en est en partie responsable.
Pour épouser la vision du grand architecte Yona Friedman, je dirais une ville construite « avec le peuple, par le peuple et pour le peuple ». Tout part des citoyens.
Aussi, architectes et designers doivent tendre vers une plus grande convergence entre le naturel et l’artificiel, et trouver comment ces deux mondes peuvent travailler ensemble de manière plus efficiente.
Interview par Vincent Thobel, journaliste L’ADN
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