La batterie est connue pour alimenter nos véhicules électriques et hybrides rechargeables en énergie. Mais saviez-vous que ces merveilleux petits objets pouvaient faire bien plus que cela ? Saviez-vous que les batteries pouvaient renaître, en dehors des véhicules, et apporter à tous de l’énergie ?
Roch Drozdowski-Strehl, directeur général de l’Institut Photovoltaïque d’Île-de-France, et Yasmine Assef, directrice performance du service énergie chez Mobilize, vous emmènent découvrir le potentiel immense du stockage stationnaire !
Tout d’abord, merci de votre invitation. Il serait en effet utile de commencer notre discussion en définissant ce qu’est la transition énergétique. Nous sommes à un moment clé de notre histoire et du débat public sur l’énergie et le climat puisque nous élaborons actuellement notre stratégie pour nous affranchir des combustibles fossiles. Notre but est d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, conformément aux objectifs de l’Accord de Paris.
Cette transformation en faveur de l’abandon des combustibles fossiles doit être achevée en l’espace de trois décennies seulement et s’accélérer considérablement d’ici à 2030. 2030 est déjà une étape importante pour l’Europe car elle correspond à une réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport au niveau de référence de 1990.
Il est intéressant de souligner une chose sur laquelle l’Agence internationale de l’énergie a insisté dans ses dernières communications. Dans un contexte de hausse des prix mondiaux de l’énergie, les problèmes de fin du monde et de fin de mois trouvent une réponse commune dans la transition énergétique. En d’autres termes, l’abandon des combustibles fossiles n’est pas seulement un impératif climatique, c’est aussi une question d’accessibilité de l’énergie et de sécurité de l’approvisionnement.
Cette transition peut se faire de différentes manières. L’une des dernières études sur le sujet a été publiée en octobre 2021 par RTE, la société chargée du transport de l’électricité en France. À travers une large consultation, elle explore les différentes possibilités qui s’offrent à nous pour atteindre la neutralité carbone en 2050.
Ces différents scénarios ont des points communs : baisse de la consommation d’énergie, augmentation de la part de l’électricité et recours accru aux énergies renouvelables.
Présente à de nombreux niveaux, l’innovation sera un puissant moteur de cette transformation. En amont, comme vous l’avez dit, avec le développement d’une production d’électricité renouvelable grâce aux technologies disponibles et aux nouvelles générations à venir, le solaire notamment.
En aval, en trouvant des moyens de favoriser la sobriété énergétique pour nous aider à consommer moins et mieux. Le tout s’inscrit dans un effort d’électrification d’un nombre croissant d’usages, tels que les transports, dans le but ultime de remplacer les combustibles fossiles. Sans oublier le lien entre production et consommation d’énergie. Pour ne citer que quelques exemples, une partie des réseaux devra évoluer pour communiquer davantage, le stockage de l’électricité sera développé, de nouveaux moyens de contrôle de la consommation verront le jour, certains systèmes devront s’adapter aux effets du changement climatique.
Absolument. Les énergies renouvelables ont en effet ceci de particulier qu’elles sont fluctuantes. Prenons l’exemple de l’énergie solaire : la quantité d’énergie fournie à la terre par le soleil est gigantesque – plus de 8 000 fois la consommation annuelle d’énergie dans le monde. Cela dit, un panneau solaire de nuit ne produit aucune énergie. Pas plus qu’une éolienne s’il n’y a pas de vent. Il est très différent des autres moyens de production d’énergie, dits contrôlables, qui peuvent être activés quand on le souhaite – disons en hiver pour produire de la chaleur, ou en été pour produire du froid.
Que faire alors de cette énergie renouvelable qui nous est livrée en fonction de la météo plutôt que de la demande des consommateurs ? Eh bien, par ordre de priorité : d’abord, l’utiliser bien sûr, localement s’il y a des besoins auxquels répondre. Puis, l’acheminer vers d’autres lieux, via les réseaux, si on en a besoin ailleurs. Ou la stocker en vue d’un usage ultérieur.
En fonction de la stratégie de charge, les véhicules électriques peuvent donc nous aider à augmenter la part des énergies renouvelables dans notre consommation.
C’est une question de stockage de l’électricité bas-carbone dès qu’elle est produite (dès que le soleil brille sur les panneaux photovoltaïques et dès que le vent souffle sur les éoliennes), et de déstockage dès qu’elle doit être consommée. Le VE (Véhicule Électrique) peut jouer ce rôle de stockage énergétique mobile ; le conducteur de VE n’est pas juste un consommateur c’est aussi un acteur car il peut choisir de recharger sa voiture avec une électricité verte avec le système de la recharge intelligente ; mais ça n’est qu’une 1ère étape, car, le VE pourra prochainement renvoyer de l’électricité verte au réseau (V2G) et jouer un vrai rôle de régulation au niveau du réseau pour favoriser l’intégration des énergies renouvelables.
Nous avons déjà parlé de l’électrification : le développement de la mobilité électrique est l’un des leviers de la transition énergétique. Pour aller plus loin, le conducteur de véhicule électrique peut devenir un consommateur qui s’adapte dans un contexte de production qui dépend de la météo plutôt que de la demande. Le conducteur devient un acteur de la transition énergétique en acceptant qu’un algorithme ajuste la charge du véhicule en fonction de la disponibilité des énergies renouvelables. On peut aller plus loin. Dans la mesure où le véhicule reste stationné en moyenne plus de 90 % du temps, on peut imaginer qu’il soit en mesure de restituer une partie de son énergie au réseau en cas de besoin. Le véhicule pourrait alors contribuer encore davantage à l’équilibre entre l’offre et la demande, si important pour le réseau électrique, en devenant ce que l’on pourrait appeler un « prosommateur », à la fois producteur et consommateur.
Exactement. Dans ce cas, le véhicule électrique est un élément dynamique du système énergétique. Il participe activement à l’intégration des énergies renouvelables dans notre consommation et renforce la résilience du réseau électrique. En d’autres termes, il augmente sa capacité à faire face à des imprévus.
Sur ce point, nous devons placer ce que nous appelons la circularité au cœur du développement technologique et de l’innovation. Nous devons nous éloigner d’une vision du monde qui part du principe que ce que la nature nous fournit est disponible en quantités illimitées, et qui ne se préoccupe pas du type, des quantités et du sort des déchets que nous produisons. Pour aller dans la bonne direction, nous devons suivre trois principes : réduire, réutiliser, recycler. Réduire : réduire notre consommation, c’est-à-dire la quantité de ressources nécessaires pour fabriquer un produit ou un service. Réutilisation : explorer toutes les voies de valorisation, trouver une seconde vie à nos produits. Enfin, recycler : une fois le produit utilisé, optimiser sa valeur en tant que matière première pour fabriquer d’autres produits.
Du point de vue du réseau, le stockage est une ressource flexible idéale pour accompagner la transition énergétique. Actuellement, le stockage hydraulique grâce à des stations de transfert d’énergie par pompage reste la technologie la plus répandue. Cela dit, l’essor de la mobilité électrique s’est notamment traduit par une réduction sensible du prix des batteries. Cela a profité au stockage stationnaire par batterie qui se développe rapidement. Les utilisations auxquelles nous pouvons penser sont nombreuses. Ce type de stockage peut être intégré aux réseaux pour aider à stabiliser une production fluctuante. Il peut faire partie d’une unité de production visant à rendre la production d’un parc solaire ou éolien plus prévisible. Il peut également être placé derrière le compteur pour réduire la facture d’électricité ou favoriser la consommation d’énergie autoproduite. En résumé, la fonction de stockage de l’énergie est une étape essentielle de la transition énergétique.
C’est en fait un usage complémentaire. Les batteries sont bien sûr conçues avant tout pour la mobilité et les voitures. On peut cependant imaginer qu’après être restées dans une voiture pendant 10 à 15 ans à des fins de mobilité, on puisse leur donner une « seconde vie » et les réutiliser à d’autres fins pendant encore 10 à 15 ans. Comme dans le cadre du stockage stationnaire.
Les batteries sont un moyen de stocker de l’électricité et de la restituer au besoin. On peut, par exemple, stocker l’électricité produite par les éoliennes ou les panneaux solaires lorsqu’elle est abondante. Au lieu de la perdre, on peut la stocker dans des batteries et l’utiliser plus tard lorsque le vent ne souffle pas ou que le soleil ne brille pas. Cela permet d’intégrer davantage d’énergies renouvelables dans le mix énergétique.
La capacité de stockage sera plus ou moins grande selon le nombre de batteries utilisées. Ainsi, pour un petit nombre de batteries, on peut imaginer un dispositif de stockage portable qui peut venir se substituer aux vieux générateurs diesel. Un plus grand nombre de batteries peut venir alimenter un système plus vaste qui fonctionnera à l’échelle nationale en lien avec le réseau électrique national.
Je dirais simplement que l’on peut avoir une capacité de stockage de grande et de petite envergure. Le projet Advanced Battery Storage est un projet à grande échelle associé au réseau national. Il consiste à utiliser les batteries de véhicules électriques – exactement les mêmes que celles que vous avez dans une voiture – après les avoir sorties des véhicules, les connecter ensemble à l’intérieur d’un conteneur maritime et les brancher au réseau électrique. Ce système fournira de l’électricité, contribuera à stabiliser la capacité du réseau et augmentera ainsi la part des énergies renouvelables.
Les avantages pour l’environnement sont considérables. Le premier étant de doubler la durée d’utilisation des batteries automobiles. En ce sens, nous réduisons l’empreinte carbone des véhicules électriques tout au long de leur cycle de vie. Deuxième avantage, nous augmentons la part des énergies renouvelables dans le réseau et, par conséquent, nous réduisons la part des énergies fossiles. C’est l’objectif d’Advanced Battery Storage. Il s’agit de grands conteneurs, qui regroupent chacun entre 30 et 50 batteries présentant une capacité individuelle de 1 MWh. Cela représente environ 3 mois de consommation pour un ménage français.
Aujourd’hui, nous avons déjà 3 installations. Deux sont opérationnelles depuis des mois, l’une à Douai, dans l’usine de production de Renault, et l’autre en Allemagne, dans une ancienne centrale à charbon aujourd’hui arrêtée. C’est un exemple concret de passage du charbon aux énergies renouvelables. La troisième, déjà en place, se trouve dans l’usine Renault Refactory de Flins, où sont fabriquées les voitures électriques ZOE. Cette structure est relativement grande puisqu’elle a une capacité de stockage de 15 MWh. Elle entrera très prochainement en service. Le programme complet Advanced Battery Storage vise une capacité de 70 MWh et sera la plus grand dispositif de stockage stationnaire fonctionnant à l’aide de batteries de VE en Europe.
Mobilize et Mobilize Energy relient le secteur de l’e-mobilité au secteur de l’énergie. Compte tenu du grand nombre de véhicules électriques prévus en Europe (15 millions sur les routes françaises en 2030, par exemple), le VE représente une énorme capacité de stockage virtuel – non pas stationnaire mais mobile, puisque les voitures roulent partout – ce qui offre des débouchés complémentaires substantiels pour Mobilize.